Premier moteur des transformations à l’œuvre : la conformité réglementaire. Les méthodes employées par certains courtiers en termes de vente à distance (VAD) et de distribution des assurances affinitaires ont poussé les pouvoirs publics, sous la pression des associations de consommateurs, à durcir les règles du jeu commercial pour tous les intermédiaires d’assurance. De nouvelles exigences qui se superposent à un millefeuille déjà épais de réglementation et contribuent à une intensification de la concurrence, à une plus grande professionnalisation. Elles imposent également un effort de transparence et de loyauté envers les clients face à la menace d’une remise en cause d’un modèle de revenus fondé sur les commissions. 

Quels sont les principaux enjeux de conformité pour les courtiers qui opèrent en France ? 

  • Transparence : les courtiers doivent fournir des informations toujours plus claires, honnêtes et compréhensibles à leurs clients, notamment en ce qui concerne les produits d’assurance proposés, les tarifs, les garanties et les exclusions. Ils doivent également divulguer toute rémunération, commission ou frais qu’ils reçoivent pour leurs services. Le devoir de conseil devient central dans la relation commerciale et clé pour se différencier de la concurrence. 
  • Gestion des conflits d’intérêts : issue de la DDA, cette obligation impose aux courtiers en assurance de mettre en place des politiques et des procédures pour identifier, prévenir et gérer les conflits d’intérêts potentiels. Cela peut inclure des situations où le courtier a un intérêt financier dans la vente d’une police d’assurance. 
  • Protection des données personnelles : il s’agit de se conformer au Règlement général sur la protection des données (RGPD) en ce qui concerne la collecte, le traitement et la conservation des données personnelles de leurs clients, de plus en plus sensibilisés à l’usage et l’archivage de leurs données. 
  • Formation et compétence : comme les assureurs, les courtiers doivent veiller à ce que leur personnel soit formé et compétent pour conseiller les clients sur les produits d’assurance. Ils doivent également maintenir leurs connaissances à jour en participant à des programmes de formation continue. L’intégration des critères de durabilité (notamment à travers DDA) accentue les besoins de formation régulière des équipes en charge de la conception et de la distribution des produits d’assurance. 
  • Surveillance et contrôle interne : les courtiers doivent structurer leurs politique et les mécanismes de surveillance et de contrôle interne pour s’assurer que leurs activités sont conformes à la réglementation et aux normes professionnelles. C’est notamment le cas en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, de protection des données personnelles et de distribution d’assurances. 

Ces principaux enjeux sont au centre de l’attention du régulateur, des autorités, des investisseurs et des clients eux-mêmes, de mieux en mieux informés. Les normes en termes de reporting réglementaire, comme l’intégration d’une culture de gestion des risques, sont désormais au centre des préoccupations des courtiers. Elles nécessitent toujours plus de moyens, de compétences, d’expertises et ont un impact significatif en termes de procédures, d’organisations et d’outils.

Quelles stratégies de réponse pour les acteurs du courtage ? 

1- Une course à la taille ou à l’organisation en réseau 

Les entreprises de courtage de petite taille peuvent avoir du mal à se conformer aux nouvelles réglementations en raison de leurs coûts élevés. De quoi favoriser un mouvement de consolidation pour gagner en taille et en parts de marché. 

Différentes options s’ouvrent aux courtiers de proximité : le recours aux courtiers grossistes, eux-mêmes inscrits dans une course à la taille avec des réseaux d’intermédiaires partenaires ; le rapprochement avec d’autres courtiers au sein de groupements à géométrie variable ou dans une optique de fusion ; voire aussi le co-courtage.  

Cette dernière pratique permet notamment à un courtier non codé pour un risque donné de recourir à un partenariat avec un courtier codé pour répondre au besoin de son client. Des plateformes accompagnent d’ores et déjà les courtiers dans cette pratique, telles que cocourtage.pro ou entreagents.com. Ces différentes options supposent des concessions et imposent aux courtiers une vision stratégique forte. 

Cette consolidation constitue une opportunité pour remplir les obligations réglementaires en mutualisant les coûts (informatiques, digitales, innovations, process) mais aussi renforcer les expertises (formation, think tank, partage d’expertise métier prévoyance- santé-épargne-IARD). 

De nombreuses opérations illustrent ce mouvement. Ainsi, en janvier 2023, Verlingue a signé deux acquisitions qui renforcent ses expertises en risques d’entreprises dits « complexes ». De son côté, le nouveau leader de la profession, Diot Siaci, a entamé des négociations exclusives avec un spécialiste des risques politiques. Même stratégie d’acquisition chez Equance, Odealim, Premium ou encore Colonna et Mercer. 

Cette logique de regroupements et d’organisation en réseau devrait prendre encore de l’importance en 2024, dans un environnement marqué non seulement par l’inflation réglementaire mais aussi par la restriction des ouvertures de code qui semble s’inscrire dans la durée. 

2. Une accélération de l’innovation 

Ces stratégies d’innovation conduisent à relever le défi de la règlementation tout en favorisant les investissements dans de nouvelles spécialités, de nouveaux métiers, voire à sortir du champ strict de l’assurance dans une logique de complémentarité et d’offre globale. Il s’agit aussi de tirer parti de marchés/activités jugés à potentiel en raison de l’actualité. Les efforts de certains acteurs, comme Verspieren, April ou Wazari, ont ainsi, entre autres choses, porté sur la gestion du risque client. Ils ont développé des solutions pour mieux servir le client tout en étant « full compliant ». 

L’innovation passe aussi par des partenariats avec les insurtechs. Ils qui concernent un large champ, de la prévention à la gestion des sinistres, en passant par la gestion administrative des contrats.

3. La diversification grâce à de nouvelles opportunités 

Les réglementations ouvrent aussi de nouveaux marchés, comme la réforme de la PSC (protection sociale complémentaire des fonctionnaires). Le passage d’un modèle individuel à un modèle collectif permet aux courtiers de saisir une nouvelle opportunité de marché. Le passage à des solutions collectives valorise leur rôle, plus spécifiquement sur certains segments, tels que les Fonctions publiques territoriale et hospitalière, marqués par une forte dispersion des employeurs. 

Les mutuelles elles-mêmes vont dans ce sens. Au-delà des mutuelles santé engagées dans une adaptation de leurs dispositifs commerciaux face aux changements de leur environnement, d’autres acteurs suivent leurs pas. Ainsi la mutuelle spécialisée dans l’épargne retraite, Garance a débuté, en 2022, la constitution d’un réseau de courtiers partenaires. Non seulement, ils offrent de nouveaux débouchés aux courtiers mais apportent aussi progressivement de nouvelles capacités sur un marché toujours tendu.

4. La transition digitale 

Ce virage est une évidence en matière de renforcement de la protection des clients, tant pour mieux servir le client que pour faire face aux réglementations toujours plus nombreuses. 

Les exemples d’initiatives qui viennent défier les méthodes de distribution traditionnelles ne manquent pas : canaux de distribution digitaux, outil de gestion des sinistres, des dossiers ou de la relation client, outil d’aide à la vente, services digitaux à l’exemple de la téléconsultation médicale ou encore lancement d’un portail API. 

Parallèlement, les partenariats, prises de participation ou acquisitions de start-up se sont poursuivis. Ainsi, Aon s’est associé à la fintech MyPangée pour développer une solution globale commercialisée à la fois en ligne et en agence. Kereis est entré, avec Sopra Steria, au capital de Particeep. Cet investissement lui permet d’enrichir ses prestations Saas et notamment de capitaliser sur les savoir-faire de la fintech sur le plan du front-office. De son côté, Odealim, déjà présent au capital de Digital Insure, en a pris le contrôle en 2022. 

Conclusion 

Finalement, le défi n’est pas tant de faire de la réglementation une contrainte ou une opportunité mais de savoir comment l’intégrer au quotidien dans la stratégie de distribution et la relation commerciale : rédiger les bonnes procédures, revoir les processus, revoir les scripts commerciaux, enregistrer les appels, s’appuyer de solutions digitales fiables, former les collaborateurs …. autant de process qui changent la manière d’exercer le métier, impactent la relation avec les clients et questionne les schémas organisationnels.  

Cette transformation – digitale mais pas seulement – nécessite une vision stratégique claire, inscrite dans la durée, et suppose des chantiers que tous ne pourront absorber de la même façon. Elle touche l’ensemble de la chaîne de valeur de la profession, avec à la clé une réelle amélioration de l’efficacité opérationnelle et une expérience client renouvelée.