La liquidité est un impératif pour les assureurs qui doivent honorer les rachats sur leurs contrats d’assurance vie, en cas de décès ou de rachat volontaire. Dans un contexte de pression sur les marges et d’émergence d’un nouveau modèle de partage de la valeur, et sous l’impulsion de réglementations telles que Value for Money et la Loi Industrie Verte, les assureurs n’ont plus le choix : ils doivent revoir leurs méthodes habituelles de gestion de la liquidité.
Gestion de la liquidité : quels choix opérationnels ?
La faiblesse des flux à gérer sur le non coté jusqu’ici (393 millions d’euros en 2021 et 613 millions en 2022 levés par le capital investissement via l’assurance vie en UC vs 145 milliards d’euros de collecte pour l’assurance-vie – dont 58 milliards pour les supports en UC – en 2022) a laissé aux assureurs la liberté d’assurer la liquidité au fur et à mesure, et de la manière la plus efficace, en s’appuyant sur les mécanismes existants. Ainsi, certains acteurs ont choisi de faire supporter la liquidité des produits non cotés par le fonds euros. D’autres ont préféré préserver l’étanchéité du fonds euros et porter la liquidité sur leurs fonds propres.
Cependant, ces choix pragmatiques ne pourront pas répondre longtemps à l’augmentation attendue des encours du non coté en assurance vie. Cette expansion des volumes, ajoutée au faible rendement du fonds euros et aux diminutions de frais imposées sur les UC, réduit la marge de manœuvre pour absorber le coût de la liquidité.
Certains ont également eu l’occasion de tester une solution plus directe : la livraison en titres au lieu de cash. Une possibilité ouverte récemment, avec la loi Pacte de 2019. Mais ici encore sans grand succès. Le mécanisme reste complexe et surtout n’a pas séduit les investisseurs. En effet, pour des particuliers, la revente sur le marché secondaire est difficile.
A la recherche de nouvelles solutions de gestion de la liquidité
De nouvelles stratégies de couverture sont donc à inventer. Cependant, aucune solution idéale ne se dessine.
Le choix de recourir à des instruments de titrisation par exemple pose des difficultés de mise en œuvre. Cette solution n’est accessible, en interne, qu’à des acteurs majeurs, disposant d’une équipe de structuration. En l’absence de ressources internes, ou si les équipes n’ont pas de temps disponible pour cette nouvelle activité, il est possible de déléguer. Entre alors en jeu la question du coût induit et de la maîtrise du savoir-faire.
Autre option : le FCPR à distribution. Contrairement à un FCPR traditionnel, dont les revenus sont intégralement réinvestis, le FCPR à distribution permettrait d’utiliser le cash généré par les participations pour faire face aux décès. Cette hypothèse laisse néanmoins en suspens la question du calendrier de disponibilité des liquidités, même dans le cas des fonds evergreen.
Gestion de la liquidité : la question du partage
Face à l’absence de solution idéale, une autre problématique émerge : celle du partage du coût de la liquidité. Est-il possible de partager ce coût avec les autres acteurs de la chaîne de valeur, qu’il s’agisse des concepteurs de produit, des réseaux de distribution ou même des clients finaux ? Le marché cherche encore ses marques.
Parmi les pistes explorées : faire supporter au véhicule une poche de liquidité conséquente, supérieure à ce qui est pratiqué historiquement. Cette option permettrait une meilleure maîtrise du risque mais pourrait conduire à dénaturer le produit, surtout dans le cas du non coté, et à grever la performance.
Autre possibilité : trouver de nouvelles modalités de partage de cette contrainte de liquidité avec l’épargnant et/ou avec le gestionnaire d’actifs. Par exemple, l’assureur peut porter les liquidités de rachat et alourdir les frais d’arbitrage dans un objectif de dissuasion et, in fine, de rétention. Il peut même interdire tout arbitrage sur les premières années, ou jouer sur le contrat au global, par exemple en prohibant le rachat partiel tant que le contrat contient des lignes plus liquides. De son côté, l’asset manager porterait ainsi les coûts liés aux décès et aux frais de gestion.
L’équité du système peut néanmoins varier en fonction des produits et des négociations. Surtout, il mène à un transfert du problème vers l’asset manager et à des prises d’initiatives individuelles et donc hétérogènes (création de parts distinctes plus chères).
Cependant, de nombreux acteurs pensent que cette problématique de liquidité doit être portée par l’ensemble des parties prenantes. A l’assureur de prendre sa part dans sa tâche cœur de garantie décès. Le concepteur du produit, lui, doit inclure dans ses véhicules une poche tampon de liquidité. Dans le cadre de son devoir de conseil et de l’obligation de transpariser à la demande sa rémunération, le mandataire devra également renforcer son accompagnement en encadrant l’épargnant dans la limitation du pourcentage de ses versements. Enfin le client, en choisissant d’investir dans du non coté, doit accepter une perte temporaire de liquidité.
Gestion de la liquidité : quels impacts pour l’épargnant ?
Troisième piste : revoir à la baisse les commissions de rétrocession pour dégager des marges permettant de supporter la liquidité. De quoi occasionner de lourdes et incertaines renégociations concernant les rémunérations versées. Les échanges sont d’autant plus délicats dans le contexte actuel d’évaluation des frais (Value for money) et à un moment où se développe la commercialisation de produits complexes, qui justifie une rémunération plus importante en lien avec le devoir de conseil.
Ces choix peuvent s’avérer décisifs face au consommateur final. Certains assureurs sont convaincus que, dans une logique de différenciation et de service apporté au client, fournir la liquidité nécessaire constitue un avantage compétitif et donc un facteur de différenciation positif. Mais une surprime affectant le prix du contrat, comme des pénalités de sortie, nécessite également une explication, et donc une démarche de pédagogie auprès des réseaux sur ces produits et ces nouveaux services.
Face à ces diverses possibilités, chaque acteur adoptera la solution la plus conforme à son niveau d’aversion interne face aux risques à prendre (compliance, juridique, gestion…), potentiellement échaudés par d’anciens traumatismes rencontrés sur d’autres produits peu liquides (immobilier par exemple). Chaque assureur placera le curseur en fonction de son histoire et de ses ambitions entre un profil en maîtrise du risque et un profil plus orienté vers la collecte.
Avec l’entrée en vigueur de la loi Industrie verte et l’obligation qui se profile d’un seuil de détention minimum de non coté dans les offres, le temps de la réflexion est compté.