LE projet de l’année… Ce constat partagé a donné le coup d’envoi de la conférence SeaBird sur la loi Pacte. Cette loi, qui a pour ambition de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois, prend une résonnance particulière pour les acteurs de l’épargne et notamment les assureurs.

Découvrez le compte rendu complet de notre conférence du 6 juin 2019. Professionnels du monde de l’assurance et pouvoirs publics ont débattu des impacts concrets de la loi sur l’évolution de leur offre, des comportements de leur clientèle, de leurs activités voire de leur métier.

Des repères sur la loi Pacte ? Téléchargez notre Guide

Cette conférence a réuni Sophie Vannier (Generali), Jean Malhomme (AXA), François Bonnin (MACIF), Thomas Chardonnel (CNP), Jean-Baptiste Bernard (Trésor), Odile Brethenoux (SeaBird), Mathilde des Courtis (SeaBird), Pierre Thérond (SeaBird). Leurs profils sont détaillés en fin d’article. Les débats étaient animés par François Maillard, associé SeaBird.

Comment la loi PACTE va-t-elle modifier l’offre de produits d’épargne ?

Afin de faciliter le financement de l’économie réelle, la loi Pacte porte la volonté de diriger l’épargne des Français davantage vers des nouveaux produits ou supports d’investissement comme le Private Equity (PE : investissement dans le non coté), l’ISR (Investissement socialement responsable) ou l’Eurocroissance.

Pour le cas du private equity, la tâche peut sembler tenir de la gageure vu le risque associé à ce type d’instruments. Le risque de liquidité des investissements réalisés, augmenté par la possibilité du règlement en titres, peut constituer un frein au développement du PE. Cependant, Jean Malhomme, soutenu par Jean-Baptiste Bernard, a rappelé que les craintes liées à la liquidité étaient les mêmes lors de l’introduction des OPCI (Organisme de Placement Collectif Immobilier) dans les offres d’assurance vie. La capacité à proposer un produit liquide, dans des UC « normales », devrait tout à fait permettre, comme cela a été le cas pour les OPCI, le développement du PE. Cette liquidité permettrait non seulement de réduire le risque associé à ce type d’actifs mais aussi d’en augmenter l’attrait vis-à-vis d’une clientèle attachée à la disponibilité de son épargne. On peut légitimement s’attendre à une réticence de nombreux clients au départ ; d’où la nécessité de cibler plutôt une clientèle avertie plus à même d’envisager ce risque et de disposer de forces de vente maîtrisant les enjeux liés à cette catégorie d’actifs peu connus du grand public.

La situation est plus claire pour l’ISR. En effet, la loi Pacte accompagne l’engouement du public pour ces produits sur lesquels les assureurs sont déjà bien positionnés. Cependant, l’écueil à éviter réside dans le manque de transparence et d’harmonisation des dénominations « durables » ou « responsables ». La loi Pacte, en mettant en avant les labels créés par l’État (label ISR, label TEEC et agrément Esus), souhaite donner à l’épargnant des repères robustes pour choisir plus sereinement ces produits.

Quant à l’Eurocroissance, pourtant unanimement reconnu pour l’ingéniosité déployée dans sa construction, il a été handicapé par sa complexité. Les intervenants s’accordent à dire que la loi Pacte, en simplifiant le produit, lance un signal positif. Mais malgré ce signal, le produit reste complexe à expliquer, surtout dans un environnement économique de taux bas et de volatilité élevée qui en bride fortement le potentiel. Une solution pourrait résider dans une gestion plus dynamique et plus ingénieuse du produit, avec l’investissement de la provision de diversification dans des supports dérivés par exemple. Mais, si cette gestion permet d’améliorer significativement le rendement, elle fait aussi peser des contraintes, notamment réglementaires comme des exigences en fonds propres plus élevés, sur les assureurs. L’intégration de l’Eurocroissance en tant que produit sécurisé dans les produits retraite pourra, peut-être, le booster ; encore faut-il éviter certains écueils comme le double cantonnement. Cette question, soulevée par les assureurs auprès du Trésor, est prise en compte dans les réflexions en cours à Bercy. « On a conscience de la question et on continue à y travailler », a confirmé Jean-Baptiste Bernard.

En matière de gestion pilotée, que la loi Pacte généralise, les intervenants s’accordent sur la nécessité de renforcer les dispositifs existants et de mettre l’accent sur la pédagogie auprès des épargnants. Ils mettent en garde contre la tentation de définir des grilles trop rigides qui empêcheraient une amélioration de l’offre par le jeu de la concurrence.

 

Quels nouveaux équilibres vont se mettre en place sur le marché de l’épargne ?

Une flexibilité nouvelle en épargne retraite

Les mesures introduites par la loi Pacte sur l’épargne retraite apportent une flexibilité nouvelle. Les modalités de sortie allégées ou la transférabilité des contrats peuvent provoquer un flux de l’assurance vie vers l’épargne retraite. Cette idée n’est pas partagée par François Bonnin qui estime, qu’à court terme, un tel arbitrage entre produits est limité par des obstacles psychologiques chez les épargnants. Pour lui, le véritable accélérateur sera dans ce domaine la réforme des retraites à venir. Thomas Chardonnel évoque la notion d’un âge pivot (45/50 ans) où les préoccupations des épargnants deviennent nettement plus tournées vers la constitution d’une retraite et plus sensibles à ces incitations réglementaires : ils envisagent plus facilement de renoncer à une partie de l’épargne de précaution au profit des produits retraite. Jean Malhomme abonde dans ce sens en évoquant la faiblesse du taux d’équipement des salariés en produits retraite par rapport à d’autres catégories comme les indépendants. Et de rappeler que la retraite par capitalisation représente à peine 2% des prestations servies en France, contre 15% en moyenne dans les pays de l’OCDE et 40% au Royaume-Uni. Sophie Vannier partage cet avis sur l’importance croissante des retraites par capitalisation en rappelant le contexte démographique actuel et l’incertitude qu’il fait planer sur l’avenir du régime par répartition. Elle ajoute que dans une ou deux générations, les comportements auront changé car les jeunes savent d’ores et déjà « qu’ils n’auront pas de retraite ! ». L’aversion au risque face à des investissements aussi engageants dans la durée n’est cependant pas à négliger, surtout lorsqu’on cible le grand public.

Un nouvel environnement concurrentiel

Ces nouveautés apportées par la loi Pacte créent également un nouvel environnement concurrentiel plus direct entre les acteurs de l’épargne. Les offres vont rester différenciées entre les types d’acteurs (asset managers vs assureurs) car les besoins considérés ne sont pas les mêmes. Des offres conjointes (épargne pure et épargne retraite) peuvent voir le jour pour certains types de clients qui en ont le besoin comme les professionnels, soit de manière intégrée soit selon une logique partenariale.

Cette concurrence va plutôt se jouer dans le domaine des services proposés à l’épargnant. Certes les asset managers sont en avance sur les outils de simulation mais la diversité des produits disponibles accentue l’importance du devoir de conseil, ainsi que de l’accompagnement des épargnants dans le choix des formules adéquates. Des outils plus performants, plus digitaux, s’avèrent nécessaires ; rendant l’innovation et le renforcement des partenariats avec les Fintech requis dans les années qui viennent.

Globalement, une porosité croissante entre les deux univers (épargne retraite et épargne salariale) est attendue avec l’encouragement par la loi Pacte des flux de l’épargne salariale vers l’épargne retraite, essentiellement lorsqu’il s’agit d’épargne longue. L’enjeu clé reste le service rendu aux épargnants et notamment la distribution possible d’une offre globale destinée aux petites entreprises. Le potentiel est important dans ce segment, mais il présente le challenge du conseil et de l’accompagnement dont les entrepreneurs sont très demandeurs.

Logique partenariale

La tendance est davantage orientée vers une logique partenariale entre les différents types d’acteurs. Ces partenariats peuvent prendre des formes diverses : mutualisation des services offerts aux clients ou accords de distribution qui permettent de proposer différentes formes d’épargnes longues par exemple. Les enjeux commerciaux de ciblage et de distribution sont très importants et peuvent éventuellement induire un phénomène de « consolidation à la marge » qui toucherait les petits acteurs mono-produit. Ces derniers vont très probablement être amenés à rejoindre des groupes plus importants afin de réaliser des économies d’échelle en accédant à des populations plus grandes.

Le nouveau cadre esquissé par la loi Pacte amène donc un nouvel environnement concurrentiel, mais les logiques de partenariat sont déjà en place chez bon nombre d’acteurs du marché. Par ailleurs, comme pour l’ISR, les assureurs s’accordent pour signaler que, dans nombre de domaines, ils sont en avance sur la loi Pacte qui ne fait que donner un cadre à cette concurrence souhaitée.

 

Comment les assureurs doivent-ils adapter leur organisation pour tirer leur épingle du jeu ?

S’adapter à l’évolution du comportement des assurés

La loi Pacte est aussi porteuse d’enjeux techniques, souligne Pierre Thérond. Il rappelle que les assureurs sont face à des choix stratégiques d’autant plus complexes que la prévision du comportement des assurés est difficile. Cela est particulièrement vrai pour l’évolution de leur aversion au risque ou de leur préférence pour une sortie en capital ou en rente pour les contrats retraite.

Par conséquent, et au vu de nombreuses autres difficultés à venir, la priorité des assureurs porte principalement sur les adaptations informatiques à apporter pour faire face aux nouveautés de la loi Pacte. Le délai très court entre la publication des décrets d’application et les dates de commercialisation idéales des nouveaux produits complique également ces adaptations.

Des textes d’application attendus fin juillet ou début août

Ce calendrier très serré, Bercy en a conscience, souligne Jean-Baptiste Bernard. Les travaux sont en cours sur les textes d’applications de la loi. Ordonnances, décrets en Conseil d’Etat et arrêtés sont actuellement soumis à consultation (jusqu’à mi-juin). Bercy vise une publication de ces textes fin juillet ou début août pour permettre la commercialisation des nouveaux produits d’épargne retraite d’ici à fin 2019.

La mobilisation des réseaux de distribution va aussi avoir un rôle clé. Pour l’ensemble des intervenants, les réseaux de distribution, tant les réseaux propres que les réseaux partenaires, devront s’adapter et ajuster leurs approches pour renforcer leur capacité de conseil. Les distributeurs devront ainsi gagner en expertise sur les nouveautés de la loi Pacte et adopter de nouvelles approches pour accompagner au mieux les clients. En découlent des enjeux de formation et de mobilisation des réseaux ainsi que des chantiers d’adaptation des outils d’aide à la vente sont également engagés.

Un accélérateur de transformation

Plus largement, la loi Pacte apparaît comme un accélérateur de transformation. Ce texte pourrait ainsi fournir l’occasion de lancer des projets d’efficacité opérationnelle ou de rationalisation ou mutualisation des SI qui n’étaient pas perçus jusque-là comme prioritaires.

Enfin, certains intervenants voient dans la loi Pacte l’occasion d’un revue d’allocation d’actifs et d’amélioration des processus de reportings, plus fréquents et plus qualitatifs. Sans compter le travail à mener pour améliorer la gestion pilotée, déjà évoqué.

Concernant l’introduction des reportings trimestriels pour les UC en assurance vie, les assureurs ont demandé une tolérance de 12 à 18 mois et non pas une application immédiate, compte tenu des difficultés de mise en œuvre. Une petite simplification a d’ores et déjà été obtenue, précise Jean Malhomme : l’information devra être mise à disposition des épargnants. Un simple accès depuis l’espace client devrait donc suffire.

***

Présentation des intervenants

 

Jean-Baptiste Bernard est adjoint au Chef du Bureau « Épargne et marchés financiers » à la Direction générale du Trésor depuis 2017.

Il a débuté sa carrière en 2012 au sein de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques, et est devenu en 2015 adjoint au chef du Bureau du Diagnostic et Prévisions Internationales de la Direction Générale du Trésor.

En tant qu’adjoint au Chef du Bureau Épargne et marché financiers, il élabore la réglementation française et négocie la législation européenne en matière de gestion d’actifs. Il a également assuré le suivi et la coordination gouvernementale des débats parlementaires de la loi PACTE. Il pilote aussi la réflexion stratégique sur le label ISR au sein du Trésor et assure le Secrétariat Général du Comité du label.

Diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Analyse Economique (ENSAE), Jean-Baptiste Bernard est également titulaire d’un Master en Analyse et Politique de la Paris School of Economics.

Une question à Jean-Baptiste Bernard : Quels sont les objectifs de la loi pour le marché de l’épargne ? Voir la vidéo

 

François Bonnin est Directeur Actuariat, Finances et Risque de Mutavie (Groupe MACIF).

Après un début de carrière en finance de marché, il a poursuivi son parcours professionnel dans le secteur du conseil avant d’intégrer le groupe MACIF en 2018.

François Bonnin est membre agrégé de l’Institut des Actuaires, dont il a été secrétaire général puis président entre 2008 et 2012.

Une question à François Bonnin : Loi Pacte & Private Equity : où en est le marché ? Voir la vidéo

 

Thomas Chardonnel est Directeur de la Business Unit partenariat BPCE chez CNP Assurances et responsable du projet Pacte.

Diplômé de l’ESCP, Thomas Chardonnel a débuté sa carrière en tant que responsable du contrôle de gestion et de la réassurance de la filiale du GAN en Hongrie puis a exercé des fonctions de développement commercial au sein de SCOR Vie sur les marchés émergents d’Europe Centrale et du Moyen Orient. Il rejoint ensuite General Electric Assurance (Genworth) à Madrid où il a été directeur commercial en charge du développement des assurances emprunteurs pour le marché espagnol.

En 2005, il rejoint CNP Assurances où il a exercé plusieurs responsabilités au sein de la direction des clientèles bancaires (assurance emprunteur). En juillet 2013, il devient directeur du centre de partenariat Caisse d’Epargne et directeur par intérim du centre de partenariat réseaux patrimoniaux et intègre le comité exécutif du groupe CNP Assurances.

Une question à Thomas Chardonnel : Loi Pacte & Produits d’épargne longue : quels sont les enjeux de distribution ? Voir la vidéo

 

Jean Malhomme est Directeur Epargne et Prévoyance d’AXA France depuis 2017.

Diplômé de Telecom ParisTech et actuaire certifié de l’Institut des Actuaires, il a rejoint le Groupe AXA en 1993. Il a occupé différentes fonctions à responsabilités chez AXA aux Etats-Unis et en Angleterre, puis chez AXA RE (Directeur Réassurance Vie et Santé) et AXA Japon (Directeur Technique et Marketing) avant de rejoindre AXA France en 2006 comme Directeur Technique Vie et Banque, puis Directeur de la Gestion des Risques entre 2011 et 2016.

Il est également Président de la Commission des Assurances de Personnes de la FFA.

Une question à Jean Malhomme : En quoi la loi Pacte va-t-elle permettre de relancer les fonds Eurocroissance ? Voir la vidéo

 

Sophie Vannier est Directrice du marché de la protection sociale des professionnels et des petites entreprises chez Generali et responsable du projet Pacte.

Elle a commencé sa carrière en 1987 dans la gestion obligataire au sein des groupes CIC puis GAN puis dans le domaine de l’épargne, de la prévoyance et de la santé. En 2001, elle devient Directrice technique Vie individuelle des réseaux non-captifs d’AXA France avant de rejoindre la holding du groupe pour animer la Stratégie Epargne monde, stratégie qu’elle ira mettre en pratique en Espagne pour les régions EMEA et Amérique latine. Elle a rejoint Generali en 2018.

Titulaire d’un DESS Banques et Assurance et d’un diplôme d’actuaire délivré par le CNAM, Sophie Vannier est membre associé de l’Institut Français des Actuaires.

Une question à Sophie Vannier : Loi Pacte & Produits d’épargne retraite : quelles opportunités pour les assureurs ? voir la vidéo

 

Les experts SeaBird

Spécialisée dans les investissements UC et les offres produits assurance-vie, Odile Brethenoux a rejoint SeaBird après plus de dix ans passés au sein de compagnies d’assurance-vie. Elle est consultante experte pour les marchés de l’épargne.

Une question à Odile Brethenoux : Loi Pacte & ISR : comment mettre davantage l’accent sur ce type d’investissement auprès des clients ? Voir la vidéo

Diplômée de l’ESCP, Mathilde des Courtis a rejoint SeaBird en 2017 après avoir travaillé dans le domaine des investissements et des unités de compte au sein d’une compagnie d’assurance. Elle est aujourd’hui consultante experte sur la thématique Investissements et Unités de comptes.

Une question à Mathilde des Courtis : Loi Pacte & Marché de l’épargne : consolidation des marchés ou développement des partenariats ? Voir la vidéo

Enfin Pierre Thérond, actuaire IA, diplômé de l’Institut de Science Financière et d’Assurance (ISFA), docteur en sciences de gestion, rejoint SeaBird après une quinzaine d’années de conseil en actuariat. Maître de conférences associé à l’ISFA, il enseigne également au CEA et dans le cadre de la formation ERM-CERA. Il préside la commission Comptabilité et Communication financière au sein de l’Institut des actuaires et participe aux travaux de l’Autorité des Normes Comptables sur les sujets assurance.