Les premières générations d’assurances en ligne : rétrospective

Dès la fin des années 1990, les assureurs ont segmenté leur offre en adoptant une stratégie multicanale par la création de filiales pure player (1), dédiées d’abord à la vente directe par téléphone puis à la vente en ligne. Celles-ci proposaient des produits d’assurance équivalents à ceux distribués par le canal physique, à un moindre coût. D’abord circonscrite à l’assurance auto, la gamme des services disponibles online s’élargit progressivement à l’assurance santé et habitation. Dans le même temps, le très technique marché de l’assurance-vie en ligne voit l’apparition de pure players spécialisés dans la distribution qui fondent leurs propositions de valeurs sur des partenariats avec des assureurs traditionnels (Generali, Suravenir, Apicil).

Malgré une tarification attractive, cette première génération d’e-assureurs n’a pas connu le succès escompté, et certains acteurs, à l’image d’OKAssurance, se sont retirés faute de ventes suffisantes. Le manque de maturité du canal et un déficit de confiance des clients dans ces nouvelles structures expliquent cette faible adhésion. Outre les spécialistes de la niche assurance-vie, seul Direct Assurance réussit à tirer son épingle du jeu grâce à des marketing intensifs permis par le soutien de la maison-mère Axa et à un service client renforcé (la société compte aujourd’hui près de 1 000 conseillers pour environ 1 million de clients).

La fin des années 2000 voit l’émergence d’une seconde vague d’e-assureurs, une nouvelle fois à l’initiative d’assureurs traditionnels opérant par le biais de filiales dédiées (2). Misant à nouveau sur des tarifications au plus juste, ces filiales sont des laboratoires d’expérimentation pour les assureurs tentant de s’appuyer sur le développement du Web 2.0. Au-delà du canal de distribution, les e-assureurs développent leurs premières offres de Pay As You Drive et Pay How You Drive (Direct Assurance) ainsi que la rétrocession aux clients des économies de coûts. Le renouvellement de l’offre digitale produit des résultats contrastés en termes d’adhésion des assurés, et les investissements consentis grèvent les résultats opérationnels des nouveaux entrants. Ainsi en 2015, IdMacif et Nexx Assurance furent rattachés à leurs maisons-mères (respectivement Macif et MAAF), faute de résultats.

Plus récemment, les assureurs ont entrepris l’ouverture d’agences en ligne explicitement liées la maison-mère dont elles portent souvent le nom (e-Allianz par exemple). L’idée est de prolonger les solutions disponibles via le réseau physique. Contrairement aux pure players, les e-agences s’intègrent dans le dispositif omnicanal des assureurs et cohabitent bien souvent sur les mêmes espaces digitaux. Ces dispositifs présentent l’avantage de mutualiser les ressources (conseillers clients, SAV, infrastructures) et de limiter les risques d’émiettement de l’expérience utilisateur. Cependant, dotés d’une tarification et de périmètres fonctionnels proches des offres offlines, le positionnement de ces nouveaux dispositifs demeure difficilement lisible du point de vue du client.

L’assurance en ligne aujourd’hui : foisonnement de services et logique ROPO

Conscients de la barrière que représente l’acte d’achat via Internet, les majors de l’assurance ont fait le choix de mettre l’agence au cœur du processus de souscription, et ne proposent la souscription en ligne qu’à la marge de leur marque principale. Le canal digital remplit une fonction informationnelle sur laquelle les assureurs ont progressivement greffé différentes fonctionnalités : devis en ligne, web call-back, création d’espaces personnalisés (consultation des contrats, déclaration et suivi d’un sinistre, etc.) permettent de maintenir et d’enrichir la relation client dans les phases d’avant-vente et d’après-vente.

Selon une étude Yext parue en mai 2019 (3), le parcours client débute dans 77% des cas par une recherche internet (dont 74% sur support mobile, contre seulement 26% sur ordinateur). Face à la prévalence du smartphone, les assureurs semblent avoir fait le choix de s’inscrire dans une stratégie ROPO (Research Online, Purchase Offline). L’hybridation du parcours client nécessite l’adoption d’un modèle de distribution multi-accès, qui laisse au prospect une grande latitude quant au canal d’interaction à privilégier pour chaque étape de son parcours. Ce balisage lâche implique deux écueils. D’une part, une relative opacité sur les possibilités de souscription digitale qui justifie un faible taux de transformation. D’autre part, l’ouverture de nouveaux canaux contribue à faire structurellement baisser le taux de charge des canaux existant, impactant d’autant les marges des assureurs.

L’incursion des banques en ligne et des assurtech : menace ou opportunité pour les assureurs ?

Pour contrer l’arrivée des Fintechs et plus récemment des Bigtechs sur leur périmètre fonctionnel, le secteur bancaire français a entamé à marche forcée une digitalisation du parcours client. Calibrant leurs offres sur les standards d’UX imposés par les acteurs du numérique, les propositions bancaires digitales constituent un modèle dont peuvent s’emparer les assureurs. Les banques placent notamment le mobile au centre de leurs offres, et développent des applications assimilables à de véritables plateformes de services qui encapsulent robo-advisor et agrégateurs de comptes.

Dans un contexte marqué par la faiblesse des taux d’intérêts, le secteur bancaire est à la recherche de relais de croissance pour placer ses excédents de liquidités. Les évolutions du back office consenties récemment pour satisfaire aux exigences réglementaires DSP1 et 2 (notamment l’ouverture réglementaire des API) permet aux banques de pénétrer le secteur de l’assurance, en formant des filiales dédiées ou en se procurant auprès d’assureurs tiers des produits assurantiels en marque blanche. Le marché de l’assurance est désormais le principal relais de croissance des banques dont les parts de marchés deviennent significatives (en 2019, 13% du segment assurance automobile et 21% du segment assurance habitation).

Significativement présentes depuis 2017, les assurtechs et autres néo-assurances tentent quant à elle de renouveler la proposition de valeur assurantielle autour de l’optimisation des usages. Pour autant, rares sont les assurtechs en mesure de se positionner en concurrence frontale avec les assureurs traditionnels. Seul Alan a fait le choix de proposer une plateforme d’assurance santé en ligne équivalente. La forte intensité capitalistique nécessaire à l’assurance et les barrières réglementaires du secteur obligent ces jeunes pousses à s’adosser à des majors du secteur pour faire vivre leurs modèles. Les assurtechs se positionnent surtout comme productrice d’offres diffusées en marque blanche ou comme des expertes de briques métiers externalisables par les grandes compagnies.

Résolument centrées sur le client, les approches de ces acteurs contribuent au renouvellent en profondeur des codes traditionnels de l’assurance et répondent aux nouvelles exigences des usagers en termes de simplicité, de fluidité et de praticité. Toutefois, la dépendance de ces nouveaux acteurs à des réseaux de distribution tiers constitue une opportunité pour les assureurs dans une optique de renouvellement à moindre coût des gammes, modes de diffusion des produits et modalités de la relation client.

(1) NexxAssurances de la MAAF et Reflex de GMF en 1999. Direct Assurance d’AXA, Eurofil d’Aviva et OKAssurance d’AGF en 2000.

(2) Aloa Assurance de MMA en 2007, Amaguiz de GroupamA, IdMacif de la MACIF en 2008, et All Secur d’Allianz en 2009.

(3) « Comment les consommateurs recherchent une assurance », relayée par le site assurbanque20.fr